Mi cuento de Navidad en "Nice Matin", "Var Matin" y "Monaco Matin" hoy: "Les santons retrouvés"

Ilustrado por la gran dibujante Sylvie T. ha sido publicado hoy domingo mi cuento de Navidad por el principal diario de los Alpes-Maritimes françaises: Nice Matin, Var Matin y Monaco Matin, en los que sale a la vez, a doble página y con un recuadro que destaca también nuestro libro "Le tour du monde en 80 saveurs" (Ed. Emmanuelle Collas, Paris, 2020).

Lo escribí directamente en francés, razón por la que no existe en español. Se los copio también después de las 2 imagenes:



Les santons retrouvés

William Navarrete / Nice Matin, Var Matin, Monaco Matin, 20 décembre 2020

Personne ne savait vraiment d’où provenaient les petites figurines de la crèche. Mémé Rose affirmait que ses parents les avaient achetées lors de leur voyage de noces.

« À Nice, sur la Riviera française, il y a des lustres », me disait-elle, en appelant la Côte d’Azur comme on le faisait encore de nos jours de l’autre côté de l’Atlantique.

La preuve de leur ancienneté : l’âne avait perdu sa queue, l’un des bergers sa houlette, le manteau de Marie sa couleur bleue d’origine, la lavandière son panier à linge. Certaines pièces présentaient une fêlure par-ci, d’autres une entaille par-là. La cruche ébréchée de la porteuse d’eau avait dû être recollée plusieurs fois. Mais la statuette qui attirait le plus mon attention était celle du petit roi en argile à la couronne dorée encore resplendissante. Je le craignais sans savoir pourquoi. L’expression de son visage n’augurait rien de bon. Il manquait au moins la moitié de l’épée qu’il brandissait. Croyant l’avoir brisée en la manipulant et de peur de me faire gronder, je la cachais toujours dans la forêt de lentilles dont la croissance rapide était, disait-on, le symbole de la vie renaissante.

Privées de leur éclat d’antan, ces pièces continuaient à me faire rêver. Je les aimais toutes et les bichonnais les déballant avec grand soin pour ne pas les abîmer davantage.

Chaque année, j’attendais avec impatience l’approche de Noël pour les étaler en cachette, sous une table recouverte d’une longue nappe qui touchait le sol, à l’abri des regards indiscrets de nos voisins. Mémé Rose m’aidait à les placer. Cela me fascinait de l’entendre faire parler l’âne de l’étable pour souhaiter la bienvenue aux Rois mages : « Gaspard, Melchior et Balthazar, laaaiii-ssez ces cadeaux dans l’eeen-tréee », disait-elle d’une voix de stentor théâtrale. Des cadeaux fictifs, bien évidemment !

Il faut dire que la seule Nativité célébrée dans le pays depuis bien longtemps était exclusivement en rapport avec les exploits d’une autre Nativité – Nativité Pérez –, une paysanne coupeuse de canne à sucre que l’État avait déclarée « héroïne du travail » et qu’il fallait vénérer. À elle seule, cette femme avait coupé des tonnes de cette rosacée, jadis la principale richesse de Cuba. On la citait alors comme une preuve irréfutable de l’endurance du peuple face à un ennemi invisible qu’on évoquait en permanence, mais que personne n’avait jamais vu.

L’autre Nativité, celle des réunions familiales qui se déroulaient autour du 24 décembre un peu partout dans le monde, restait un mot interdit, radié par décret de nos habitudes, seulement prononcé du bout des lèvres par les plus âgés. Le zèle des autorités était si excessif que pour éviter d’associer ces festivités à la coupeuse de canne, ne serait-ce que par la coïncidence de leurs noms, journaux et autres médias veillaient à ne pas mentionner cette dernière durant toute la période calendale, entre la Sainte Barbe et l’Epiphanie !

Être surpris en possession d’un sapin, d’une crèche ou d’un autre objet en rapport avec Noël pouvait attirer de gros ennuis, allant même jusqu’à la perte de son travail. Quant aux enfants, on nous apprenait à tenir nos langues dès le plus jeune âge.

Les années sans un vrai Noël se succédaient. Comme les interdictions étaient toujours en vigueur, nous continuâmes à « faire la chapelle » à la maison, une expression que l’espagnol avait empruntée au français et qui datait de la Révolution de 1789, lorsque les cultes furent interdits dans les églises de France et que les familles n’eurent d’autre choix que de pratiquer à l’intérieur de leurs propres foyers. Pour se consoler, à l’arrivée du mois de décembre, mémé Rose disait toujours : « Après tout, dans cette île oubliée du monde il n’y a jamais eu de neige, de cheminées, d’oliviers, ni rien qui puisse nous rappeler le paysage de la naissance de Jésus tel qu’on l’imagine ».

Cependant, il restait un petit espoir de voir un vrai sapin. Pour cela, il fallait se rendre à la Diplotienda, le grand magasin réservé au personnel des ambassades. Les employés recevaient l’ordre de bien recouvrir les vitrines pour cacher à la vue des passants les petits arbres remplis de boules et de guirlandes multicolores brillant de mille feux et décorant ce temple de la consommation interdit aux nationaux. Parfois, le responsable chargé de les dissimuler oubliait, soit par mégarde, soit de manière intentionnée, de tirer correctement les rideaux. On pouvait alors entrevoir les objets défendus. Un moment rare et très attendu qui faisait jubiler ma mère qui m’emmenait faire des promenades à n’en plus finir le long du trottoir devant ce magasin. On passait et repassait encore, car à une certaine distance du trottoir et à travers la grille, se trouvaient les seuls sapins connus de l’île.

Mon imaginaire d’enfant ne fut donc pas peuplé de sapins, ni de chants de Noël et encore moins de chaussettes suspendues dans lesquelles on glissait de petits cadeaux. Les friandises typiques des pays de tradition hispanique, à savoir les nougats, les pommes caramélisées, les pâtisseries à la pâte d’amandes, les fruits confits ou les biscuits étoilés à l’anis et à la cannelle, m’étaient aussi inconnues. Toute cette farandole de délices allégoriques n’existait que dans la mémoire des adultes.

Une année, la crèche, seule réminiscence de cet univers prohibé et mystérieux, disparut. L’hiver de mes douze ans, mémé décéda, on changea de quartier et, dans la confusion du déménagement, plus personne ne mentionna les figurines et autres petits objets qui en faisaient partie. Noël devint alors un véritable trou noir avec, comme seul avantage, l’absence de toute nostalgie de la part de ceux qui ne l’avaient jamais vraiment fêté.

Plus tard et après moult obstacles, bien plus difficiles à surmonter que le travail harassant de la « Nativité de la canne à sucre », je parvenais à m’installer à Paris.

Lors de mon premier Noël, on m’emmena voir les vitrines animées des Galeries Lafayette, le sapin géant sous la coupole Art nouveau du magasin principal, ou encore l’éclairage féerique des Champs-Elysées et ses platanes larmoyant des lumières en forme de filaments qu’on pouvait contempler aisément depuis la hauteur de la Grande Roue. Même la neige, que je ne connaissais pas, était au rendez-vous cette année-là, comme pour accentuer la magie du moment !

Quoique extraordinaire, j’avoue que ce décor somptueux qui faisait vibrer grands et petits me laissait indifférent. Sans repère, sans aucun indice qui aurait pu susciter en moi la moindre nostalgie, j’assistais comme un spectateur absent à cette mise en scène ostentatoire. Mon passé rempli d’interdits et dépourvu de fantaisies finissait par me rattraper.

Quelques années plus tard, je reçus l’invitation d’un ami à me rendre sur la Côte afin de fêter Noël dans sa famille. À peine arrivé à Nice, je fus saisi d’émotion. Le contour sensuel du rivage, la communion parfaite entre la terre et la mer, ainsi que les éclats argentés des flots me rendaient l’image de La Havane en me faisant prendre conscience, pour la première fois, de mon départ définitif. Cette mer tant haïe car frontière naturelle m’empêchant pendant des années de partir, devenait, sous une autre latitude, la pièce qui manquait au bonheur de ma liberté acquise !

Je n’ai pas tardé à découvrir Lou presèpi, la fameuse crèche vivante, place Rossetti, dans le Vieux-Nice. À l’époque, s’opposer à ce genre de manifestation sous prétexte d’éradiquer les dernières traces du christianisme dans l’espace public n’était pas « tendance ». J’étais vraiment ravi de constater qu’il y avait encore des peuples capables de défendre leurs traditions. En voyant les yeux des enfants briller de l’autre côté de l’enclos, je ne pouvais cesser de penser à la grande débâcle de mon pays suite à la soviétisation forcée.

Après le réveillon de fin d’année, l’un de mes amis me proposa de l’accompagner pour aller chercher des kakis dans l’arrière-pays niçois. Selon lui, on pouvait en cueillir des grandes quantités directement sur les arbres dans les champs près de Lucéram, un village à environ vingt-cinq kilomètres de la ville.

Avant d’arriver, il voulut me montrer l’ancien bourg fortifié, perché au-dessus d’une boucle du Paillon. La terre gardait encore le souvenir de la neige tombée la nuit précédente. Mon ami ignorait que depuis quelques années les habitants avaient décidé de convertir leur village en un énorme belèn, le nom qu’on donne aux crèches en provençal, mais aussi en espagnol. Je n’en croyais pas mes yeux ! Il y en avait à chaque coin de rue, chaque placette, chaque ruelle. On en trouvait sur les perrons des vieilles bâtisses en pierre, sur les boîtes aux lettres, autour du lavoir ou sur le rebord des fenêtres. Le moindre recoin exhibait des dizaines de santons en terre cuite, en bois, en tissu et autres matériaux inimaginables, tels que des pinces à linge, du fer forgé, des graines de cougourdons et même en chocolat, afin de représenter tous les personnages de l’imaginaire provençal. Une brochure que j’avais récupérée à l’entrée de l’église expliquait que la plupart des figurines avaient été fabriquées par les villageois eux-mêmes, grâce à leur créativité et à leur ingéniosité.

Je ne pouvais dissimuler mon émotion. Je courais comme un gamin d’une ruelle à l’autre pour ne rien rater du spectacle. Peu m’importaient les rafales de vent particulièrement glacées qui descendaient des cimes, se faufilant entre passages voûtés et arcades. Je ne voulais pas perdre le moindre détail de cette scénographie créée par des bénévoles.

Cela faisait un bon moment que mon ami, plus intéressé par les kakis que par toute cette panoplie de figurines, était parti de son côté chercher les fruits qu’il comptait cueillir. Il ne comprenait pas que je puisse aimer autant ces bondieuseries, avait-il dit en se moquant gentiment de moi avant de continuer sa quête.

Je continuais, d’émerveillement en émerveillement, à regarder chaque personnage des crèches. Un marchand d’ail semblait bien s’entendre avec la poissonnière. Le meunier, la femme à la lavande et le vendeur de calissons s’apprêtaient à quitter la place du marché. Un peu plus loin, le berger cherchait son chien qui poursuivait les oies se réfugiant dans un petit champ où les germes de lentilles avaient suffisamment poussé pour les cacher. Les yeux fermés, l’aveugle marchait accompagné de son fil. Un couple de vieux restait assis sur un banc en contemplant l’agitation de la place. Au milieu de ce brouhaha, comme si l’on avait voulu effacer les frontières entre le sacré et le profane, des bergers s’approchaient de la maison où l’Enfant était né. Ils marchaient, au son de la trompette annonciatrice, soufflée par un ange, et suivis par des bohémiens que je reconnaissais aux couleurs vives de leurs vêtements.

Tout à coup, en regardant le long d’un muret en papier mâché qui servait de barrière protectrice à un petit potager, je suis tombé sur un personnage que je n’avais pas remarqué jusqu’alors. Il arborait une couronne dorée étincelante et brandissait une épée à laquelle il manquait la moitié de la lame. C’était Hérode ! Celui de la crèche de mémé, portant une tunique identique et affichant aussi la même expression de haine et de méchanceté.

Les strates de ma mémoire submergée commencèrent à jaillir du fond de ma pensée. Les figurines de mon enfance se redessinaient graduellement dans chacune des pièces que j’avais devant mes yeux. Peut-être parce que les nôtres étaient délavées ou parce que j’avais voulu chasser les images d’une période révolue, tout ce petit monde avait complétement disparu de mes souvenirs.

Sans y réfléchir à deux fois et en m’assurant que personne ne m’observait, je pris l’ancien roi de Judée et le plongeai au milieu de la forêt de lentilles. Non pas par crainte que quelqu’un puisse m’accuser d’avoir cassé son épée, mais pour empêcher que l’on ne tue l’enfant qui devrait toujours demeurer en soi.

Nice, décembre 2020. 


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